Le Monde du 05.06.2022
Stéphane Foucart
Le pesticide affecte la capacité des insectes à réguler la température de leur nid, selon une étude dans « Science »
La controverse sur le glyphosate n’a, jusqu’à présent, guère porté que sur sa sécurité sanitaire, pour les travailleurs agricoles et les consommateurs. Une équipe de chercheurs allemands de l’université de Constance et de l’institut Max-Planck éclaire le débat sur ses effets environnementaux.
Dans une étude publiée vendredi 3 juin dans Science, la biologiste Anja Weidenmüller et ses coauteurs montrent pour la première fois que le célèbre herbicide – le pesticide de synthèse le plus utilisé au monde –, altère la capacité des colonies de bourdons terrestres (Bombus terrestris) à réguler la température de leur nid. Un effet qui ne survient que lorsque ces pollinisateurs subissent un stress alimentaire et qui menace leur capacité de reproduction.
Au laboratoire, les chercheurs ont coupé en deux une quinzaine de colonies. Dans chacune d’elles, une moitié était exposée par l’alimentation à des faibles niveaux de glyphosate – comparables à ceux rencontrés dans l’environnement –, l’autre moitié servant de témoin. Les chercheurs ont ensuite simulé une situation de stress en réduisant les ressources alimentaires disponibles, situation fréquente dans les paysages agricoles, en particulier lorsque le désherbage à grande échelle détruit la flore adventice.
Ils ont alors constaté un affaissement de la capacité des insectes à garder leur nid à une température supérieure à 28 °C. Or les larves de ces insectes ne se développent correctement qu’entre 28 °C et 35 °C. « Ne serait-ce qu’à 25 °C, leur taux de survie baisse de 17 % et le taux de développement chute de plus de 50 % par rapport au taux optimal », écrivent les chercheurs.
Selon les mesures des chercheurs, l’exposition au glyphosate peut ainsi faire chuter de 25 % le temps de l’incubation pendant lequel les insectes parviennent à maintenir leur nid dans l’étroite bande de températures permettant à leur progéniture de se développer. « Nos résultats montrent un impact important, surtout lorsque les températures ambiantes sont basses, écrivent les auteurs. Cela suggère que les effets du glyphosate sur la colonie peuvent être particulièrement puissants au début du printemps, lorsque les reines solitaires élèvent leur première couvée seules, et dans la phase précoce du développement de la colonie, lorsque les colonies sont encore petites. » L’exposition à long terme pourrait ainsi avoir « des conséquences importantes » sur le succès reproductif des insectes.
Effets sur le microbiote
Ces résultats sont d’autant plus importants qu’environ un quart des espèces de bourdons européennes sont menacées d’extinction, et que ces insectes forment un groupe de pollinisateurs parmi les plus importants, autant nécessaires à la reproduction de nombreuses espèces de fleurs sauvages qu’au maintien et aux rendements de certaines productions alimentaires.
En outre, notent les auteurs, le fait de tester des conditions d’exposition chronique à faibles doses et en situation de stress permet de mettre en lumière des effets non pris en compte lors de l’évaluation réglementaire des risques. « Les procédures standards d’évaluation des risques pour l’autorisation des pesticides évaluent la toxicité aiguë et sont réalisées avec des individus bien nourris et sans parasites, ce qui élimine les facteurs de stress naturels qui peuvent moduler la capacité des abeilles à faire face aux pesticides », expliquent-ils.
Comment expliquer l’effet mis en évidence ? « Bien que le mécanisme spécifique de l’action du glyphosate sur la thermo-régulation [des bourdons] demeure inconnu, une possibilité est que cette substance puisse affecter le métabolisme et la physiologie de ces insectes par le biais d’effets sur leur microbiote », explique l’entomologiste James Crall, professeur à l’université du Wisconsin à Madison, dans un commentaire publié par Science. Cet effet sur le microbiote a déjà été documenté chez l’abeille domestique (Apis mellifera) mais jamais sur des abeilles sauvages comme les bourdons.
D’autres travaux, note M. Crall, ont montré que « le glyphosate affecte le comportement et la navigation de l’abeille domestique, ce qui en retour peu détériorer l’apport alimentaire de la colonie ». « Jusqu’à présent les études ont principalement porté sur l’abeille domestique qui, bien qu’importante pour l’agriculture, ne représente qu’une parmi les quelque 20 000 espèces d’abeilles, ajoute-t-il. Les effets du glyphosate sur ces autres abeilles sont presque entièrement inconnus. » Pour M. Crall, ces travaux allemands sont « particulièrement importants », en raison de « l’utilisation mondiale et généralisée du glyphosate, dont l’usage a substantiellement augmenté depuis l’introduction des cultures “Roundup Ready” résistantes au glyphosate, au milieu des années 1990 ».